On a souvent affirmé que le
Juif qui tient la bible ouverte vraisemblablement ouverte sur
la page de la prophétie d’Isaïe, était un rabbin, celui de
Lisbonne, sans s’apercevoir que l’idée d’un rabbin médiéval
imberbe est inadmissible. Les autorités israélites sont
formelles : la loi hébraïque défendait à un juif de détruire les
cheveux sur les tempes et le menton. Si certains bourgeois, ceux
surtout que leur métier mettait en rapport constant avec les
chrétiens, pouvaient prendre avec elle des libertés, un rabbin
n’aurait jamais dérogé. Les rares représentations de rabbins au
XVe siècle, tant en Espagne qu’en Allemagne, les
montrent toujours avec des barbes hirsutes. Dans les Panneaux,
dans cet ensemble pénétré d’esprit religieux, nous comprenons
maintenant que la présence d’un Juif reçoit une justification
spirituelle car il se dresse là en témoin solennel de la
prophétie d’Isaïe qui préfigure l’esprit missionnaire des
combattants africain, es nouveaux apôtres, ces croisés.
|
|
Mais s’il n’est pas
rabbin, s’il n’est pas homme de Dieu, quel Juif laïque a
pu ainsi être choisi pour figurer au voisinage de saint
Vincent, de l’archevêque et des personnages royaux que
nous allons reconnaitre ? Ce ne pouvait être qu’un
théologien, un commentateur de la bible. Les communautés
juives médiévales avaient parfois d’autres représentants
que les rabbins, autrement puissants : les banquiers.
Leurs moyens financiers, leurs relations internationales
étaient souvent utilisés par les cours en Espagne et au
Portugal, surtout au XVe, où des périodes de
persécutions alternaient avec des périodes de tolérance,
en vertu du sain principe de ménagement de la poule aux
œufs d’or. La communauté de Lisbonne possédait un tel
représentant, célèbre à la fois comme financier, comme
homme d’état et comme commentateur des prophètes : Isaac
Abrabanel (ou Abarbanel).
Charles Sterling,
"Les panneaux de Saint Vincent et leurs énigmes" , L'Œil
N°159, mars 1968 |